- Propos recueillis par Patricia Calonne / L Calédonie magazine | Crée le 19.01.2025 à 13h30 | Mis à jour le 19.01.2025 à 13h30ImprimerSéverine Lathuillière, directrice générale de l'Origin Cinéma. Photo Marc Le ChelardL Calédonie a rencontré Séverine Lathuillière, fondatrice et directrice générale de l'Origin Cinéma. Malgré les violences de mai et juin 2024, le multiplex de Dumbéa a rouvert et porte de nombreux projets. L Calédonie, le magazine féminin 100 % calédonien, vous propose son interview.
L'Origin Cinéma a lui aussi été victime des exactions de ces derniers mois ; Vous avez malgré tout décidé de rouvrir les portes du complexe le 6 novembre dernier. Racontez-nous…
Séverine Lathuillière : Nous avons été très impactés, le complexe a été totalement pillé, il y a eu beaucoup de casse… Nous avons été très meurtris comme tous les Calédoniens et Calédoniennes. Mais c'était fondamental pour nous de sauver les postes de nos employés et de préserver la synergie qu'on avait avec cette équipe de 30 personnes. La réouverture n'aurait pas été possible sans l'énergie colossale qu'on a déployée en juin, juillet, août, jour et nuit, pour relever la tête. Il reste quelques traces qu'on a décidé de laisser (elle montre une affiche de cinéma encadrée dont le verre est fêlé) en se disant que c'était important de ne pas tout oublier. Ce lieu est pour la population, pour la soutenir et l'accompagner dans ses changements et dans ses désirs, dans ses combats aussi.
Ça a toujours été primordial pour vous d'être au cœur de Koutio ; Pourquoi ?
Dès le début, l'idée était d'avoir un lieu qui ne soit pas qu'un cinéma mais un lieu de rencontre, de partage, de débats, d'écoute pour la jeunesse et pour cette ville nouvelle. À partir du moment où on s'installait ici, on savait que la population autour était une population qui avait besoin de respect et d'écoute, d'où le désir de faire un lieu qui soit beau. Les milieux défavorisés ou les classes sociales moins privilégiées ont le droit d'avoir accès à la beauté et à l'art.
Vous évoquez les diverses actions que vous menez au sein d'Origin Cinéma… Vous avez ainsi beaucoup travaillé avec les jeunes, je pense au hip-hop notamment…
Pendant trois ans, on a accompagné les danseurs, on les a accueillis, on a fait des événements avec eux, que ce soient les battles, le festival hip-hop, ou encore la proposition d'occuper le lieu gracieusement. Nous avons toujours été à l'écoute sur ce qu'ils avaient envie de construire et comment construire des ponts entre l'Occident et les peuples autochtones, comment l'art peut s'approprier tout ça et faire le lien entre les deux.
Photo Marc Le Chelard / L CalédonieEt les scolaires n'étaient pas oubliés….
Oui, il y a toujours eu une grande dimension avec les scolaires. On a plus de 10 000 élèves par an, de la maternelle au lycée, qui viennent voir des films dans le cadre des dispositifs scolaires montés par le Centre National du Cinéma. Ils ont accès à un programme de trois films dans l'année qui ne sont évidemment pas des blockbusters, qui appartiennent à des catalogues dédiés, et qui leur permettent d'avoir une éducation à l'image avec des échanges et des débats avec un désir de construire avec cette jeunesse une réflexion sur la vie, le monde, la société. Il nous semble que l'art et la beauté sont toujours des pistes de réflexion pour regarder ce qu'il se passe ailleurs, le mettre en perspective avec ce que " je " vis, moi, dans mon monde et voir que je ne suis pas le seul à vivre et à souffrir. Et comment je fais pour dépasser ça et pour être résilient par rapport à tout ça ? On a aussi du divertissement, évidemment, mais du divertissement qui peut se faire aussi en VO. La version originale, c'est le premier moment où tu commences par la parole à accéder au langage de l'autre. Même si tu ne le comprends pas, tu as sa musique, tu as sa forme, sa rondeur, ses vibrations. La VO, c'est aussi une rencontre avec un langage extérieur, une première approche d'un monde différent et l'occasion d'entendre comment ce monde différent résonne en soi.
Ce ne sont pas des films que la plupart des enfants ont l'habitude de voir ; Avez-vous vraiment l'impression que ces films les touchent ?
C'est indéniable. Rapidement, on voit la capacité des enfants à étudier un film avec les éléments de compréhension et de langage qu'on leur a donnés. Très vite, ils comprennent comment le film fonctionne et ce qu'il raconte, pourquoi le fond et la forme sont liés et comment on passe un message à travers une narration et une image.
Les femmes et la nature tiennent aussi une place importante dans votre dispositif.
Oui, absolument. Mon point de vue en tant que femme, c'est que l'état du monde aujourd'hui et l'état de la société sont liés en majeure partie au patriarcat et le résultat de centaines d'années de patriarcat, on le voit, on le subit, que ce soit de la manière dont on accouche les femmes aujourd'hui, allongées les pieds dans les étriers, jusqu'à la façon dont le patriarcat et le capitalisme ont fondé ensemble une société organisée d'une certaine manière avec méritocratie, pouvoir et utilisation de forces actives. Alors, je ne vais pas révolutionner le monde avec ce lieu, mais en tout cas, pour moi, tout ça est lié aussi à l'écoféminisme, il y a un vrai lien entre tout ça, le respect de la nature et le respect de la femme. On est évidemment sur un lieu que la nature nous offre et mon point de vue a toujours été que nous sommes les gardiens de cette nature qui ne nous appartient pas, nous sommes là pour l'accompagner. On fait tous partie du vivant. A partir du moment où on respecte la nature, la nature humaine et le vivant dans sa globalité, on respecte les femmes aussi. Et à partir du moment où on met en place des synergies pour que tout ça soit écouté et regardé avec bienveillance, on ne peut plus être un guerrier. On peut se défendre de plein de manières, mais l'important c'est de protéger cette nature et de protéger ceux et celles qui la défendent.
Photo L CalédonieConcrètement, comment ça se manifeste à l'Origin Cinéma ?
Nous avons deux festivals par an, la Semaine bleue et la Semaine verte, pendant lesquels on propose des films avec les thématiques importantes concernant la préservation de la planète, l'eau, la terre, la biodiversité, accompagnés de débats. L'idée est aussi de trouver une cohérence dans toutes nos actions. Ça passe par le fait de faire attention à l'alimentation car si on a un corps sain, on a un esprit sain. Donc on a fait un choix, parfois en décidant de gagner moins d'argent et d'avoir des marges moins importantes. Le pop-corn par exemple, qui est la première source d'alimentation dans le cinéma, c'est 12 tonnes par an ! Donc nous avons choisi un pop-corn issu de l'agriculture biologique. Nous avons une réflexion par rapport à ça, c'est-à-dire à la fois proposer des œuvres qui vont soutenir ces démarches et qui vont expliquer pourquoi la nourriture doit être préservée, comment on fait pour la préserver et quel est son impact dans notre corps, et comment le lien entre corps et esprit va se faire… Évidemment l'idée est de ne pas être extrémiste et c'est un mot important aujourd'hui. On sait où les extrêmes nous mènent dans le monde entier…
Et pour en revenir aux femmes…
Travailler sur les violences était fondamental pour nous, aussi parce qu'on est le territoire français qui a le plus de violences faites aux femmes et de violences intrafamiliales. Donc c'est un vrai sujet. Mais comment on aborde ce sujet ? Comment on construit un cercle de parole ? Comment on se sert d'un film pour échanger sur l'inceste par exemple ? Posons le sujet sur la table, et à partir de là, regardons-le pour de vrai … Donc, on choisit un film sur une thématique et ensuite nous échangeons avec des intervenants invités. Et ce n'est pas grave si on ne prend pas la parole. On est là, on a participé à un échange, il y a des choses qui se jouent dans l'invisible aussi et qui vont s'incarner d'une manière ou d'une autre, dans une pensée qui va évoluer.
Vous avez de nouveaux projets pour 2025 ?
Au niveau de notre équipe, nous travaillons sur une nouvelle réflexion sur la synergie interne puisque nous avons une équipe très très jeune et nous voulons qu'ils, elles, montent en puissance. L'idée est de former et de transmettre. La transmission est vraiment fondamentale pour nous. Sinon, en 2024, nous avions des projets autour du hip-hop qui n'ont pas pu se faire. On va reconstruire, ça ne sera peut-être pas exactement la même chose, mais on va voir ce qu'on remet en place ensemble. Mais on en reparlera parce qu'on a une réflexion qui était déjà prévue sur une thématique globale qui puisse parler à tout le monde et qui puisse être déployée de plusieurs manières possibles. Ça reste quand même difficile de se projeter, mais il faut le faire. Il faut avancer.
Photo L Calédonie / Marc Le ChélardNote
Retrouvez les infos de L Calédonie sur sa page Facebook. Le numéro 3, qui est sorti début décembre 2024, est disponible dans les points de vente suivants : Librairie Michel-Ange, Librairie Port Plaisance, Tabac centre Belle-Vie, Tabac Dumbéa Mall, Tabac Géant Sainte-Marie, Tabac presse Moana.
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